Covid-19 la nouvelle dance carrée. « LA COVID EST LÀ, ÇA VA COMMENCER »
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Comment nous répondons à cette nouvelle pandémie? La réponse cacophonique est « du mieux qu’on peut », à intensité variable. Plusieurs autorités ont imposé un tempo et plusieurs ont essayé de le suivre. Cette soudaine pandémie a forcé les autorités sanitaires à bouger et à s’ajuster à une vitesse à laquelle elles ne sont pas habituées. Avec un pas par en avant, deux pas de côté et un pas en arrière, la confusion s’est rapidement installée et sans cohérence entre les experts mondiaux, fédéraux, provinciaux et régionaux. Il s’en est suivi une série de déclarations publiques et de directives souvent désynchronisées, non coordonnées entre les différents paliers de gestion et s’ajoutant aux directives ministérielles qui semblaient appliquées de manière arbitraire.
Pourtant cette capacité d’action et de réaction est intrinsèque dans les milieux communautaires et les CSC, qui sont contraints constamment d’assurer leur propre survie financière tout en répondant aux besoins émergeants de leur communauté. Même si l’ampleur des situations n’a pas les mêmes proportions, les réflexes devraient être les mêmes : anticiper, agir, concerter, analyser, s’ajuster et répéter ces étapes.
Pour Le DISPENSAIRE, un centre de santé communautaire implanté dans la région des Laurentides au Québec, et ses 21 employés, la pandémie de COVID-19 a été dure, mais nous avons su nous adapter. Notre CSC est spécialisé en santé sexuelle (VIH, hépatite, IST), en égalité des genres et en réduction des méfaits. Les virus et les crises sanitaires sans les outils adéquats pour y répondre, on connait ça. Après 31 ans d’engagement dans la communauté, notre défi principal repose encore sur le fait de devoir justifier notre utilité aux autorités de santé publique.
Comme plusieurs, la COVID nous a affectés, mais surtout elle a eu un impact sur les personnes avec qui nous travaillons. Étant ouverts, car nos services sont essentiels, simultanément nous avons vu le nombre de surdoses doubler, nous avons reçu 60 % plus de demandes de dépistage ITS référées par le réseau public de santé, et la consommation de drogues (alcool, médicaments, drogues de rue) a augmenté radicalement sous la pression de la santé mentale qui décline. Les personnes qui fréquentent nos milieux et pour qui nous étions le seul filet social fonctionnel ont vécu un isolement dévastateur. L’accès aux soins de base s’est amenuisé. Le système de soins a flanché. « Nous devons aider notre réseau de la santé », comme le martelait à maintes reprises le premier ministre du Québec en conférence de presse. C’est donc le monde à l’envers, soignons le système.
Dès le début, le DISPENSAIRE a su anticiper la crise internationale qui pointait à l’horizon. Ainsi nous avons planifié l’acquisition de matériel de protection individuelle avant le déclenchement des mesures d’urgence : masques, désinfectant, visières, blouses, etc.
Depuis les premières semaines et les premiers mois, nous sommes devenus le « pusher » de matériel de prévention pour des organismes à but non lucratif qui ont été oubliés ou n’ont pas été priorisés comme plusieurs groupes communautaires pendant cette crise, des groupes qui n’osaient pas le dénoncer de peur de ne pas profiter du financement annoncé. Les lacunes de la priorisation des groupes communautaires en santé et en services sociaux, nous les vivons encore pour avoir accès au dépistage, aux tests rapides et aux vaccins. Deux fois pendant la pandémie, nous avons connu une pénurie nationale de matériel d’injection sécuritaire pour les personnes qui consomment des drogues.
Le Projet national de promotion de la vaccination communautaire (PVC-national) nous permet de mettre en chiffres réels les personnes invisibles, celles qui sont hors réseau, les personnes peu ou pas alphabétisées, fragiles, éloignées du système de santé et pauvres à tant de niveaux. Les autorités ont supposé que ces personnes auraient des téléphones, seraient en mesure de prendre des rendez-vous en ligne, qu’elles pourraient se rendre aux cliniques COVID en voiture, et qu’elles comprenaient et pouvaient déchiffrer la quantité monstrueuse d’informations sur cette crise.
Au Québec, en tant que centre de santé communautaire, nous sommes autant marginalisés et stigmatisés que les personnes avec qui nous travaillons. En tant qu’organisation, nous nous sentions comme des citoyens de seconde classe en termes d’accès aux équipements de prévention, aux tests et aux vaccins.
La gestion hospitalo-centrique du réseau de santé québécois a écarté les principes de l’action communautaire autonome. La crise de la COVID combinée avec la crise des surdoses a frappé de plein fouet des communautés déjà loin des soins et des services. Nous semblons avoir oublié l’expertise durement gagnée de la crise du SIDA des années 1980 à 1990. Plusieurs stratégies de cette époque auraient dû être utilisées pendant la crise de la COVID, notamment pour assurer le niveau d’engagement des communautés pour l’application des mesures de protection et de vaccination à l’échelle locale.
Dans les communautés du VIH, cela fait déjà 40 que nous vivons avec la désinformation et la théorie du complot du big pharma. L’autodépistage du VIH existe depuis plusieurs années et pourtant, tous les tests rapides COVID ont mis près d’un an avant d’être déployés au Québec parce que « nous ne pouvions pas utiliser ces tests adéquatement ». Maintenant, nous demandons aux citoyens de s’autotester et de s’autodéclarer.
« La prévention est d’abord et avant tout, et par-dessus, tout une relation humaine”, explique Dr Jean Robert, médecin spécialisé en maladies infectieuses, microbiologie et santé communautaire.
Pour illustrer la situation, Le DISPENSAIRE a été exempt d’éclosion de COVID jusqu’au mois de janvier 2022, où la vague Omicron a frappé le monde. Heureusement, ce matin-là, un employé a su se faire dépister au bureau lors de l’apparition de symptômes. Le même jour, nous avons testé tous les membres de l’équipe en plus de leur fournir (à eux et leurs proches) des tests pour 5 jours. Nous avons divisé les équipes en deux, en fonction de leur proximité et de leur niveau d’exposition. Deux autres employés supplémentaires ont testé positif la même journée. Nous avons augmenté la protection en passant du port des masques de procédure au port de masques N-95 pour tous. Et surtout, nous avons payé sans pénaliser les employés en congé préventif ou de maladie.
En une semaine, nous freinions l’éclosion dans notre Centre de santé communautaire. Nous avons pu réagir, car nous avions les outils nécessaires : des tests rapides, des masques N95 en grande quantité et des politiques flexibles. Notre accès à ces outils et ces fournitures vitales est venu de nos propres relations et du privilège que nous avons d’être en contact avec la communauté. Bien que nous soyons contents d’y avoir accès, je plains mes collègues qui se démènent en première ligne sans les matériels ni le soutien nécessaires pour leur sécurité. Il nous a fallu plus d’un an d’acharnement pour avoir accès aux vaccins contre la COVID-19 et ce, même si notre programme clinique soigne et vaccine des personnes immunosupprimées ou vulnérables qui ont besoin d’une dose supplémentaire.
Nous voulons faire notre part et contribuer davantage à lutter contre cette crise collective, mais il semble que malgré le manque de personnel soignant, les hôpitaux bondés et des décès par milliers, notre soutien n’est pas suffisant pour obtenir une aide financière.
Pourtant, grâce à la subvention de projet PVC-national de l’Association canadienne des centres de santé communautaire et à notre entêtement, Le DISPENSAIRE parvient à rejoindre plus de 1200 personnes pour la prévention de la COVID-19. Ces personnes qui ont accédé aux banques alimentaires et aux différents refuges risquaient d’être infectées par le virus ou de le transmettre. Nous y sommes parvenus en allant vers les gens et en nous engageant avec eux là où ils se trouvent.
En décembre 2021, le taux de vaccination officiel oscillait autour de 88,7 % [1] pour la population générale âgée de plus de 12 ans dans notre région. Avec Omicron, nous sommes revenus à la case de départ. Ainsi, en février 2022, le taux de vaccination complet dans la région est de 48 % pour les 40-49 ans et de 28 % pour les 18-29 ans. Il reste encore beaucoup à faire et pour reprendre l’analogie de la danse, « la nuit n’est pas finie. »
On peut critiquer le pourquoi du comment des décideurs publics, mais ultimement aurions-nous fait mieux ? Cette question est insensée. Ce qui est pertinent, ce sont les constats sur notre régime de santé publique et les inégalités sociales en santé. Nous avons le devoir d’analyser les failles du système afin de proposer des améliorations, car il y aura un après-COVID et il y aura un rattrapage à faire. Nous devrons rattraper tous les patients abandonnés, les tests reportés, les suivis, les traitements et les chirurgies. Même après le projet PVC-national, il va falloir se retrousser les manches et reconnecter les gens aux soins.
Pour notre part au Québec, il n’y a que deux modèles subventionnés possibles, les cliniques du réseau public et les cliniques privées. Il me semble que le statu quo n’est pas une option et je crois que de ressusciter le modèle des centres de santé communautaire au Québec permettrait d’assurer des alternatives complémentaires pour répondre aux besoins des communautés. En terminant, je vous laisse réfléchir au titre du dernier essai de l’auteur Anne Plourde sur la décrépitude du système de santé communautaire au Québec : Le capitalisme, c’est mauvais pour la santé.
[1] https://www.journalacces.ca/actualite/360-dans-notre-region-edition-du-22-decembre
COVID-19 is the new square dance. “COVID IS HERE, IT’S ABOUT TO START”
How do we respond to this new pandemic? The cacophonous answer is: as best we can, at varying intensity. Many authorities have been forcing a tempo, and many have been trying to follow it. This sudden pandemic has forced health authorities to move and adjust at a speed they are not used to. With one step forward, two steps sideways and one step back, confusion quickly set in and there is no consistency among global, federal, provincial, and regional experts. This was followed by a series of public releases and directives that were often in opposition in time and out of sync between the different levels of management and in addition to the ministerial directives that seem to be applied in arbitrary ways. However, this capacity for action and reaction is intrinsic in community-based organizations and CHCs, that are constantly forced to do so for their own financial survival while responding to the emerging needs of their community. Even if the magnitude of the situations are not the same, the reflexes should be the same: anticipate, act, consult, analyze, adjust, and repeat these steps.
For Le DISPENSAIRE, a regional Community Health Centre located in the Laurentians region of Quebec, and its 21 employees, the COVID-19 pandemic has been tough, but we’ve been able to adapt. Our CHC specializes in sexual health (HIV, Hepatitis, STI), gender equality and harm reduction. Viruses and health crises without the proper tools to respond, we know much about it. After 31 years of involvement in the community, our main challenge is still to justify our usefulness to public health authorities.
Like many, COVID-19 has affected us, but more importantly it has affected the people we work with. Being open, because our services are essential, simultaneously we saw the number of overdoses double, we received 60% more requests for STI screening referred by the public health network, and the use of drugs (alcohol, medication, street drugs) increased drastically under the pressure of declining mental health. The people who frequent our environments, and for whom we were the only functional social net, have experienced a devastating isolation. Access to basic care has diminished. The health care system has broken down. “We have to help our health care system”, as the Prime Minister of Quebec has repeatedly said in press conferences. So, it’s the world upside down, let’s care for our system.
From the beginning, Le DISPENSAIRE has been able to anticipate the international crisis that was on the horizon. Thus, we planned the acquisition of personal protective equipment before the emergency measures were launched: masks, disinfectant, visors, gowns, etc. Since the first weeks, even months, we became the “dealer” of prevention materials for non-profit organizations that were forgotten or not prioritized like many community groups during this crisis, groups that were afraid to speak out for fear of not getting the funding that was announced. The gaps in prioritization of community groups working in health and social services is still there to gain access to screening, rapid tests, and vaccines . Twice during the pandemic, wad had a national shortage of safe injection equipment for people who use drugs. The Community Vaccination Promotion National (CVP-National) Project allows us to put real numbers on the invisible people, those off the grid, people with little or no literacy, fragile, far from the healthcare system and poor on so many levels. The authorities assumed these people would have phones, would be able to book online appointments, that they can drive to the COVID clinics, and that they understand and can decipher the monstrous amount of information about this crisis.
In Quebec, as a Community Health Centre we are as much marginalized and stigmatized as the people we work with. As an organization we felt like a second class citizen in terms of access to prevention gear, tests, and vaccines.
The hospital-centric management of Quebec’s health care system has pushed aside the principles of autonomous community actions. The COVID crisis combined with the overdose crisis has hit hard communities already far from care and services. We seem to have forgotten the hard-won expertise of the AIDS crisis of the 1980s and 1990s. Many of the strategies from that time should have been applied during the COVID crisis, including ensuring the level of community commitment to implement protection and immunization measures at the local level. In HIV communities, we have been living with misinformation and conspiracy theories from big pharma for 40 years now. HIV self-testing has been around for many years and yet all the COVID rapid tests took almost a year to be rolled out in Quebec because ‘’we could not use those tests adequately“. Now we ask citizens to self-test and self-report.
“Prevention is first and foremost and above all, a human relationship.” Dr Jean Robert, MD specialized in infectious diseases, microbiology, and community health.
To illustrate, the DISPENSAIRE was free of COVID outbreaks until January 2022 when the Omicron wave hit the world. Fortunately, on that morning, an employee was able to screen himself at the office when symptoms appeared. That same day, we tested the entire team and provided them (and their households) with 5 days of testing. We divided the teams in two, according to their proximity and level of exposure. Two additional employees tested positive the same day. We increased protection from procedure masks to with N-95 masks for all. And most importantly, we paid without penalizing employees on preventative or sick leave.
Within a week we stopped the outbreak within our Community Health Centre. We were able to respond because we had the right tools to do so: rapid tests, N95 masks in large quantities, and flexible policies. Our access to these tools and life saving supplies came from our own connections and the privilege we have of being connected with the community. While we are glad to have this access, I feel sorry for my colleagues who are struggling on the front lines without the equipment or support for their safety. It has taken us over a year to get access to the COVID vaccines, even though our clinical program treats and vaccinates immunosuppressed or vulnerable people who would need an extra dose. We want to do our part and contribute more in this collective crisis, but it seems that despite the lack of health care workers, crowded hospitals, and deaths by the thousands that our support is enough to take the handout.
Still, thanks to the CVP-National project grant from the Canadian Association of Community Health Centres and our stubbornness, Le DISEPSNAIRE manage to reach more than 1200 people for COVID-19 prevention. These individuals who accessed food banks and different shelters were at risk of infection or transmission of the virus. We’ve done this by going to the people and engaging with them where they are.
In December 2021, the official vaccination rate was hovering around 88,7 %[1] for general population older than 12 years old within our region. With omicron, it’s getting to square one. So as of February 2022, the complete vaccination rate in the region is 48% for 40–49 years old and 28% for 18–29 years old. There is still a lot to do and to use the dance analogy: the night is not over.
We can criticize the why and wherefore of public officers, but ultimately, would we have done better? This question is impertinent. What is pertinent is the exposure of the failures in our public health system and social inequalities in health. We have a duty to analyze the flaws in the system in order to propose improvements, because there will be a post-COVID period. We will have to catch up on all the abandoned patients, the postponed tests, follow-ups, treatments, and surgeries. Even after the CVP-National project, we will have to roll up our sleeves and reconnect people to care.
For our part in Quebec, there are only two possible subsidized models, public network clinics and private clinics. It seems to me that the status quo is not an option and I believe that resurrecting the community health centre model in Quebec would ensure complementary alternatives to meet the needs of equity-deserving communities. In closing, I leave you to reflect on the title of author Anne Plourde’s latest essay on the decrepitude of the community health system in Quebec: Le capitaliste, c’est mauvais pour la santé / capitalism is bad for health.
[1]https://www.journalacces.ca/actualite/360-dans-notre-region-edition-du-22-decembre/